Le père François , éleveur de son état va vendre sa Blanchette au marché qui a lieu aujourd'hui. Tous deux empruntent le chemin bordé de saules qui à force d'avoir été étêtés sont devenus des trognes aux troncs noueux voire monstrueux. Bientôt de nouvelles pousses viendront les chapeauter et les adoucir. La vache Blanchette pose ses sabots précautionneusement sans se poser de questions ; elle a l'habitude d'obéir . « J'ai bien fait , pense François, de lui cirer les sabots et les cornes, elle a encore fière allure et sûr je ne toperai pas avec le premier venu », Il fait un signe de la main à l'Albert qui répare son tracteur dans sa cour : « il faudra qu'on discute pour coordonner nos récoltes au meilleur moment , mais nous avons encore le temps . Ho voilà la Blanchette qui sen va ! »En effet ,tentée par un pissenlit , Blanchette a quitté le chemin la fleur jaune coincée dans le museau fait rire le François « Je vais bien te regretter, toi qui m'a donné tant de lait et tant de veaux . »
Soudain une moto pétaradante qui file comme le vent les fait sursauter et la Blanchette prend le pas de course en dressant la queue, tellement elle a eu peur ; « Il va bien lui faire tourner son lait celui-là à faire un tel boucan! Reviens Blanchette , je veux que tu arrives au mieux de ta forme pour faire le meilleur effet » mais la vache le regarde d un œil torve ; on dirait qu'elle sait , qu'elle comprend ce qu'il veut faire d'elle.
Ils continuent leur chemin quand soudain les sabots de Blanchette ne résonnent plus de la même façon ; ils traversent le pont qui enjambe la rivière . « Ah oui c'est là que je venais me baigner autrefois quand j'étais jeune ; c'est là que j'ai rencontré La Bertrande, je crois que mes biceps lui ont plu davantage que mes yeux. Il faut dire qu'à la ferme les bons biceps ça compte et elle a eu tôt fait de m’enjôler. On dit que l'homme conquiert sa promise , mais en réalité il ne fait que tomber dans un filet tendu avec astuce . C'est peut-être mieux ainsi , et la Bertrande était un bon parti avec sa dot et son courage, Je ne regrette rien .Si je vends bien ma Blanchette je pourrai acheter un cadeau pour ma femme et ma fille. Pas de fanfreluches c'est sûr, non quelque chose d'utile : un parapluie ? Un mouchoir brodé ? Des gants pour le dimanche,,,
Nous voilà déjà près du calvaire qui marque l'orée du village ». Des fleurs finissent de faner au pied de la croix .sans doute le reste de la dernière procession ? Pas de monde dans les rues aujourd'hui et pourtant l'horloge du clocher indique que l'heure de l'angélus a sonné depuis longtemps . « Ils sont tous déjà au marché . Y aura-t-il encore des marchands de
bestiaux pour acheter ma Blanchette à un bon prix ?»
Soudain son attention est attirée par un groupe qui occupe toute la largeur de la rue . En approchant il voit qu'une vache morte bloque toute la largeur de la route . A gauche le motard regarde son engin en bien mauvais état . De l'autre côté l'Albertine , rouge de colère invective le motard .
-Qu'est-ce que je vais devenir moi sans ma vache ? C'était mon seul bien , ma seule source de revenu!Je n'ai plus rien mais toi ça t'est bien égal !
Il en a fallu des palabres, des allées et venues : tout d'abord pour faire constater l'accident, puis pour trouver un équarrisseur qui veuille bien emporter la bête morte ; il fallait bien dégager le passage . Pendant tout ce temps , après son mouvement de désespoir, l'Albertine est restée hébétée, assise à côté de sa vache, à la caresser, étrangère à ce qui se passe autour d'elle, les yeux remplis de larmes « Qu'est ce que je vais devenir ? Je n'ai plus qu'à mourir de faim ! »
Après tout ce remue ménage, le François reprend le cours de ses pensées « J'ai bien fait de toper avec l'Albertine. Par contrat, elle me donnera chaque semaine un fromage fait avec son lait . Elle est fière l'Albertine ,elle ne veut rien pour rien. Je sais qu'elle s'occupera bien de la Blanchette et c'est mieux comme ça. Je n'ai pas de cadeaux à rapporter je ne pourrai pas acheter un veau comme je l'avais prévu . Je voulais un veau mâle car avec le contact quotidien à cause de la traite , on noue des liens trop forts avec les vaches . A l'avenir je vais élever des bœufs , uniquement des bœufs . Et maintenant dépêche -toi ; on doit commencer à s'inquiéter à la ferme. »
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Cherrier Geneviève (lundi, 20 janvier 2020 09:28)
J'ai bien fait de relire, de délicieux passages m'avaient échappés. Tu traduis la rusticité avec des mots qui apportent légèreté et humanité. Bravo !!!
ANNIK (lundi, 20 janvier 2020 17:05)
J'ai relu ton écrit, avec beaucoup de plaisir. La description de la vie à la campagne est savoureuse, une pointe d'humour et beaucoup d'humanité. Bravo !