Ange ou démon ? surnaturel ? Pas si sûr ! - Edith (mardi)

Quelle migraine soudaine ce matin ! Il faut reconnaître que la semaine fut éprouvante et la lutte inégale. D’ailleurs, la lutte n’est pas du tout mon affaire. Mon arme de persuasion se limite à la douceur même si je ne suis pas toujours compris.

Pierre m’avait envoyé en mission auprès de Gaspard, jeune qui traînait son adolescence sur un fil aussi ténu qu’épineux, tantôt endormi dans une indolence qui l’empêchait manifestement d’agir et soudain mu par une brutale énergie qui le rendait prêt à toutes les dérives. Influençable sans se l’avouer, sans se comprendre surtout. Il me fallait donc sans cesse veiller et l’aider à ne pas chuter, à mieux réfléchir pour prendre les bonnes décisions, le bon chemin, mais il me fallait exercer mon influence dans la plus grande discrétion : mon protégé devait absolument croire qu’il était seul maître dans sa quête de confiance de sa vie d’adolescent. Je devais l’aider à devenir un homme droit, honnête, confiant dans la vie qui peut être si merveilleuse. Je devais lui permettre de se prouver à lui-même que toute défaillance, tout écart, peut être évité ou corrigé. Et pour cela, je restais à son écoute à chaque seconde, là, tapi dans le petit coin qui m‘était assigné.

J’observais secrètement ses gestuelles, son visage changeant et surtout ses yeux. Ses yeux si bleus. Ce bleu aussi doux qu’un ciel d’été qui pouvait devenir d’acier ou profondément sombre annonçant l’orage qui le tourmentait et pouvait me désarçonner. Et cela en une fraction de seconde. C’est dire le niveau de concentration que je devais conserver ! Je savais alors que l’ennemi rodait et qu’il avait décidé d’attaquer mon protégé. J’étais tenu de redoubler d’efforts et ne jamais quitter un vigilant silence, une absolue discrétion. Ce n’était vraiment pas facile et je sentais quelquefois Gaspard tressauter, se raidir, froncer les sourcils, et même se retourner comme méfiant ; son visage interrogeait.

Je dois avouer que je n’ai pas toujours été entendu, ni même écouté. Gaspard était comme happé par plus influent que moi. Son oreille devenait sourde à mes attentions tant elle était disponible à d’autres discours qui le valorisaient alors bien plus que mes chuchotements jugés trop raisonnables. J’adaptais le ton de mes suggestions, j’allais même jusqu’à flatter son ego quant aux bénéfices immédiats ou plus lointains qu’il retirerait à suivre mes sages conseils.

Cette semaine, je dois l’avouer, j’ai dû entraîner Gaspard dans une lutte très rude. Il était tellement tourmenté, prêt à renoncer aux bases même de la bonne éducation qu’il recevait. On lui avait vanté les mérites de quelques chemins plus faciles mais très épineux, tellement plus séduisants que celui sur lequel il usait ses forces en m’écoutant… » je l’entendais murmurer en son for intérieur… « et si… et si j’essayais… pourquoi pas après tout ?... »

Je n’ai pas lâché Gaspard, pas un instant, j’ai mis toute mon énergie de vigile pour bouter hors de sa tête l’envahisseur qui y tenait un véritable siège bien décidé à remporter une victoire. Et le combat n’étant pas mené avec les mêmes armes, je savais que je n’avais à priori pas l’avantage. Des sueurs froides m’envahissaient quand Gaspard doutait ou trébuchait. Je ne devais pas baisser la garde.

De ma bienveillance je faisais la main qui le relevait. De ma douceur, la voix qui le réconfortait, l’encourageait, le félicitait. L’autre malin devait vociférer et cracher son venin. Je n’en avais cure. Je croyais en ma noble mission. Peut-être même un peu trop parfois, oubliant la fragilité de l’humain faillible, alors, soucieux de mon résultat, je déployais plus largement mes ailes oubliant certainement de nuancer mon interventionnisme et même de me soustraire à mon devoir de tutelle que je prenais trop au sérieux… quasi omniprésent, je devais alors certainement devenir pour Gaspard un envahissant démon, plus intrusif et moins audible que l’autre, mon très habile et satanique concurrent sans scrupule.

Très vite, sans véritable arrogance mais avec un brin de « je ne sais quoi » qui devait quand même friser la vanité, je me rassurais en pensant qu’un peu grâce à moi, cette semaine, Gaspard avait encore une fois gagné. Il avait sûrement un peu plus grandi, fier de sortir peu à peu de ses doutes d’adolescent frondeur.

Ma migraine ? Rien d’anormal ! Le gardien que je suis doit toujours se tenir prêt pour une autre mission, telle est sa raison d’être…